À l’abbaye où vit une communauté de moines cisterciens, la mise au point est précise : «Enserrée dans le creux de son vallon, l’abbaye Notre-Dame de Sénanque demeure comme un des purs témoins de l’architecture cistercienne primitive et tous les offices sont désormais célébrés à l’église abbatiale. Saint Benoît a écrit une Règle au VIe siècle, sous laquelle nous militons, qui veut être une modalité d’application de l’Évangile.
Au XIe siècle, les saints Robert, Albéric et Étienne, nos Pères fondateurs, ont voulu revenir à la Règle bénédictine dans un désir d’une vie monastique plus exigeante et authentique. »
Un siècle de construction et de vie agitée
Il y a neuf cents ans, le renouveau spirituel insufflé par l’abbaye de Cîteaux fut à l’origine de la fondation de quelque 700 monastères durant le Moyen Âge en Europe. Saint Bernard en fut la figure marquante et se montra vigilant pour que la Règle de saint Benoît soit appliquée avec rigueur et vigueur. Ainsi, les moines basent leur vie monastique sur trois piliers : l’office liturgique, la lecture de la Bible (Lectio Divina) et le travail. En d’autres termes, quatre étapes sont appliquées pour leur rencontre, dans la solitude et le silence, avec le Divin : lecture, méditation, prière et contemplation. Les monastères sont toujours implantés dans des lieux retirés, boisés (du bois pour la construction et le chauffage), proche d’un plan d’eau ou d’une rivière (pour boire et pour la pêche), la vie communautaire ponctuée de sept offices par jour, du milieu de la nuit au soir, sans omettre le travail manuel.
En 1148, Notre-Dame de Sénanque fut fondée par des cisterciens venus de l’abbaye de Mazan, en Vivarais. La construction de l’ensemble dura une centaine d’années. L’église fut le premier édifice à être érigé, puis les habitations provisoires.
Aux XIIIe et XIVe siècles, ce fut l’apogée de Sénanque : quatre moulins, sept granges, de nombreuses terres en Provence…
En 1544, les guerres de Religion firent de nombreux dégâts et, à la Révolution, ce fut la vente comme bien national.
En 1854, rachat, restauration, réinstallation d’une communauté, mais, en 1903, suite aux lois sur les congrégations, les moines furent expulsés !
En 1926, reprise de la vie conventuelle pour une quarantaine d’années et en 1969, Sénanque devint un centre culturel !
En 1988, renouant avec des siècles de tradition cistercienne, une nouvelle communauté de moines réinvestit les lieux pour, en 1998, fêter le 850e anniversaire de la fondation de cet exceptionnel lieu sacré. Ils étaient une dizaine en 2012. Les légumes issus du potager de l’abbaye sont leur principale source de nourriture.
Aujourd’hui, ils consacrent une partie de leur labeur à la visite de l’abbaye, à la librairie religieuse, à la culture du lavandin, à la vente de miel, d’essence de lavandin, de produits provenant d’autres abbayes…
L’édifice du XIIe siècle est encore utilisé par les moines.
L’église
La grande abside, éclairée par trois ouvertures qui convergent vers l’autel, est encadrée par deux chapelles de pur style roman. Ces chapelles servaient à célébrer des messes privées.
Le mur est percé de deux petites fenêtres et d’un oculus orné d’une roue. On y trouve le tombeau et le monument funéraire de Geoffroy de Venasque, bienfaiteur de l’abbaye.
À la croisée du transept, on passe du plan carré à l’octogone du sommet de la coupole.
Ici, comme à l’abbaye de Fontenay, l’acoustique est exceptionnelle grâce à une architecture faite d’un dépouillement extrême et d’une conception particulièrement élaborée (le son « monte » le long des colonnes et « redescend », pur, vers le public). Une démonstration est généralement proposée par le guide.
Le cloître
Lieu de méditation et de lecture, on y découvre l’ancien armarium (armoire à manuscrits). Le jardin est bordé de quatre galeries et douze arcades en plein cintre. Les chapiteaux aux motifs végétaux sont sobres. Depuis la galerie sud, on distingue le typique clocher roman de l’église et les toits de lauzes (pierres sèches assemblées sans charpentes).
Le dortoir
Il accueillait trente moines dormant, tout habillés, sur des paillasses. Il fut construit dans le prolongement direct du transept de l’église afin de permettre aux moines de le rejoindre rapidement à 2 heures du matin pour le premier office, et, le soir, après le Salve Regina, de rejoindre tout aussi rapidement leur paillasse.
Le chauffoir
Lieu de travail pour la copie des manuscrits (scriptorium), seule pièce chauffée (sauf les cuisines, et pour cause!), surtout pour que les encres et autres pigments ne gèlent pas. La cheminée conique permettait de brûler des troncs d’arbres placés verticalement.
La salle capitulaire ou salle du chapitre
Lieu de réunion de la communauté autour de l’abbé, pour l’écoute d’un chapitre (d’où le nom de la salle) de la Règle de saint Benoît. Dans cette salle se prenaient des décisions, s’effectuaient les prises d’habit, les professions monastiques, l’élection de l’abbé…Les moines s’asseyaient sur des gradins, l’abbé au centre faisait face à la «Tarasque» et pouvait parler sans élever la voix tant l’acoustique y était de qualité grâce aux six croisées d’ogives. C’était la seule pièce où il était autorisé de parler.
La «Tarasque», bête faramineuse comparable à la vouivre ou au dragon, animal fabuleux, a été décrite par Jacques de Voragine (XIIIe siècle) dans sa célèbre Légende dorée :
« Il y avait, à cette époque, sur les rives du Rhône, dans un bois entre Arles et Avignon, un dragon, moitié animal, moitié poisson, plus épais qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, avec des dents semblables à des épées et grosses comme des cornes, qui était armé de chaque côté de deux boucliers ; il se cachait dans le fleuve d’où il ôtait la vie à tous les passants et submergeait les navires. »
Comme le « Baphomet », la présence de la « Tarasque » à l’abbaye de Sénanque n’était certainement pas à prendre comme un signe d’idolâtrie, mais comme un «concept» qu’il fallait combattre, voire ne pas imiter.